• Pedro, chasseur de crabes

    Pedro, chaseur de crabes
    Il va avoir soixante ans, le 9 juillet prochain.
    Son nom, sur Skype est suivi de l'avatar "Chasseur de crabes". Sur Facebook, sa trace s'arrête au 21 novembre 2014. Il a quitté les pistes le 25. Pistes du cirque de la vie, pistes de latérite, pistes du Saloum, pistes de la vie visible, tangible; celle des autres, ceux qui restent...
    Sous le grand chapiteau, il a fait le clown, l'acrobate, le dompteur de fauves, l'équilibriste, le passeur de bonheurs et d'émotions. Le Monsieur Loyal, surtout!
    Sur les pistes Sénégalaises, sur les tans entre Palmarin et Pointe Sarène, les latérites entre rôniers et acacias, les chemins de brousse et de traverse, il a fait le con. Il s'est ému, éclaté; a ému, a donné, a reçu. Il a été heureux.
    Sur le sable, au bord de l'océan, il regardait l'horizon, les aurores, l'angélus orange, les couchers de soleil somptueux et chauds comme l'amitié, l'amour, l'humour et la fraternité.
    Le chasseur de crabes avait décidé de se battre, de croire en la médecine des hommes. exterminer le cancer qui le rongeait depuis deux mois seulement. Une armée de métastases contre un seul homme; une seule volonté contre l'injustice de la maladie...
    Il a perdu la bataille, puis la guerre.
    Il voulait prendre la dernière pirogue avant la nuit. caresser le bois du ponton; une dernière fois, une dernière chance. Tailler les courants au travers des bolongs, passer la mangrove, aller vers le delta, l'océan. Filer vers l'horizon et laisser la pirogue rentrer seule sur la gréve... Faire confiance, comme toujours, au vol des pélicans, des aigrettes ardoisées. Elles savent le chemin. Jusqu'au dernier.
    Il n'a pas eu le temps.
    Il a fermé la bitik Pedro. Nous, ses potes, on ne sait plus où aller chercher notre tranche d'amitié, notre bol de bonheur, notre mbourou d'affection, notre magicube de tendresse... Ataya ou café touba? Les deux Pedro, les deux!
    Pourtant, pour lui, on va continuer à bouffer du Sénégal. On va continuer à tracer le Saloum, croiser les pistes à charrettes, se faire emmerder par les cadors d'Mbour, s'émerveiller des bouilles des gosses, rigoler avec les banabanas, les antiquaires, les jardiniers, les Fatous, les Gazelles!
    Demain, on te laissera t'envoler au vent du Sahel. Tu te déposeras là où tu veux, au gré du hasard, de l'alizée, de l’Harmattan. Un zébu reniflera le pied d'un mil et se souviendra de ton short orange, de ta bonne bouille de Toubab jovial. Un marabout passant du côté de Yayème lèvera les yeux vers le ciel pour te saluer, incrédule. Une petite fille montera dans le baobab ou le fromager pour voir là où tu vas, encore, poursuivant ta route vers Popenguine, Toubab Dialaw, Diamnadio,... Te perds plus!
    La grande mosquée de Ouakam écartera ses minarets pour te laisser aller vers les dunes du Retba. Elles auront le rose aux joues de te regarder passer, Puis, Kébémer, Lompoul, Louga, Saint Louis...
    Te connaissant, au Djoudj, tu obéiras à l'instinct des pélicans, aux cormorans et tu feras demi tour.
    Direction le fleuve Gambie, le Niokolo! A gauche toutes! Kédougou, la grande piste vers Salémata, les bétiks, les Bassari! Douche froide à Dindefelo.
    Douche froide...
    On vient d'y avoir droit Pedro. Enfoiré!

    La Girafe


  • Commentaires

    1
    Vava
    Lundi 1er Décembre 2014 à 22:58

    Superbe… Bon voyage Pedro…

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