• Histoire vraie...

    Saly Portudal, fin du siècle dernier. Quartier Koulang-bitiks
    Un couple de toubabs vient d'acquérir une jolie petite case dans une résidence que le promoteur promet d'amener à bon port...
    La réception est correcte, la maison meublée conformément au contrat signé un an plus tôt. Seule la décoration fait défaut. Le couple, au fil de ses promenades, de ses visites dans le pays, s'offre parfois l'un ou l'autre objet typiquement typique...
    Le marchandage faisant partie du sport national, à l'instar de la lutte traditionnelle, le couple se fatigue souvent les fesses sur le banc des palabres. Faisant mine de se lever, de partir, de revenir, d'hésiter, de tâter, de froncer les sourcils, de prendre du recul, de soupirer et de finalement acheter le masque convoité, le canari courtisé, le tableau souhaité, le batik qu'on ne peut que posséder; pièce unique créée par un vieux  Gambien unijambiste juste avant de rendre son âme à Allah...
    De plus, le dessin représente une scène mettant en présence un éléphant et une jeune vierge, mi-nue, s'astreignant à défoncer un pilon de mil à l'ombre d'un cocotier où trainent quelques poules, un phacochère et deux gazelles pré-pubères. Irrésistible!
    Le batik est de très grande dimension, peint dans les tons ocre-latérite sur un tissu écru de bon aloi. Sa place est toute trouvée sur le pan de mur de la tête du lit à baldaquin de la case.
    Très heureux d'avoir remporté cette pièce unique à un prix dérisoire, le couple s'en retournera une autre fois chez cet antiquaire, adorable et compréhensif, pour acheter, de haute lutte, un autre batik pour la salle à manger. Le marchand, reconnaissant de la fidélité de ses clients allant même jusqu'à leur offrir un petit éléphant en bois d'ébène qui atterrit sur la table de nuit en fraké de la chambre d'amis...
    A chacun de leur séjour, le couple passe saluer Omar, le vendeur de batik. On s'enquiert de sa santé, de celle de sa femme, ses filles, la grand-mère, l'oncle et, évidemment, toute la concession. Sinon qu'Allah est grand et que tout va bien! Lui même renvoie les salutations et prend des nouvelles du couple, de sa famille et de la France entière...
    Un grand sourire illumine sa bonne bouille de Wolof, allant même jusqu'à retirer son bois-Colgate quand il parle avec ses grands amis toubabs. Les retrouvailles sont toujours conviviales, d'autant qu'Omar a toujours de nouvelles pièces uniques, exclusives, importées directement de Banjul par son frère, bien placé pour dénicher des trésors nationaux et les passer en fraude, la nuit, par le fleuve. C'est que les douaniers ne rigolent pas avec le patrimoine national en Gambie!
    Évidemment, cela majore le prix mais, quand on aime, on ne compte pas!
    Voici quelques temps, quasi quinze années après l'achat des batiks, la revente de la case, la séparation du couple, Omar revoit son client, son ami de toujours. L'homme confie sobrement à l'antiquaire ses déboires financiers et sentimentaux.
    Alors, Omar s'émeut. Ses yeux deviennent humides et ses lèvres tremblent légèrement. Il se retourne, avance dans la pénombre vers le fond de sa bitik. Lève le couvercle en cuir fauve d'un petit coffre mauritanien et en sort quatre billets de dix mille.
    Le plus discrètement et le plus sobrement du monde, il fait glisser les quatre billets pliés, repliés, dans la main du toubab. " Je crois que je t'ai pris trop quand tu m'as acheté mes batiks"

    La Girafe


  • Commentaires

    1
    Pauline des Rotours
    Samedi 30 Août 2014 à 18:52

    Encore une très belle histoire chère Girafe ! Comme un Griot tu sais conter et raconter et nous émouvoir le coeur et l'esprit ! Tout comme Omar, mes yeux se sont embués .... Merci pour ce partage La Girafe !

     

    2
    MARIE
    Samedi 20 Septembre 2014 à 11:18

    Cette histoire est tellement émouvante... tu sais tellement raconter ce qui se passe..merci et encore merci...

    C'est un réel plaisir de te lire

     

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